"C'est pas écrit dans les livres..."

.:: Ethan escalada le minuscule escalier bas qui menait au grenier avec une certaine euphorie. Arrivé en haut, il soupira, puis prit le temps de détailler la pièce. Une petite salle, au parquet pourri, envahit par les toiles d'araignées, et dont les charpentes apparentes abritaient sûrement plus de petites bêtes curieuses que l'on pourrait soupçonner. Des bibliothèques recouvraient certains murs, et des vieux livres étaient renversés par terre, pêle-mêle.
Il frémit de plaisir. Tant de livres, tant d'informations... Tant de secrets à découvrir et à décrypter ! Il s'avança vers une pile de livres en équilibre précaire, s'assit en tailleur, et en saisit un.

.:: Ethan, plongé dans sa lecture, n'avait pas remarqué la jeune fille qui était entrée sans faire le moindre bruit. Après quelques minutes, il reposa prudemment le livre où il l'avait trouvé et se retourna avec un soupir, les yeux fermés dans un premier temps. Il n'avait lu que des choses qu'il savait déjà. Dommage. Mais, pour une autre personne moins bien informée que lui, ce bouquin était un trésor.

- Ah, b'jour ! Monsieur Morteterre, vous êtes là ? claironna Aylin après avoir ouvert la porte de bois noir sans frapper.
- En personne, répondit l'intéressé sans lever le nez de son bureau. Quelle raison t'as amenée ici, Aylin Ceren Alexandra Leyla Işık ? Je te croyais aux États-Unis.
- Je ne suis pas seule ! éluda la jeune fille. Mon frère m'accompagne.
L'homme se redressa pour dévisager les deux arrivants, et Ethan put enfin détailler le physique de son futur employeur.
Timothée Morteterre était un grand homme, d'environ une trentaine d'années, aux beaux cheveux noirs mi-longs dont une mèche recouvrait presque son œil gauche. S'ajoutaient à sa prestance des yeux fins d'un violet tranchant où brillait une flamme d'intelligence et de flegme, derrière des lunettes aux branches noires seulement visibles en bas.
Ethan ravala sa salive, et baissa la tête quand son regard croisa celui, ténébreux et imposant, de son interlocuteur.
- Ton frère, c'est ça ? répéta-t-il en tournant ses yeux vers Aylin. Pourquoi me l'amènes-tu ?
Une autre porte, identique à la première mais située dans le fond du bureau, s'ouvrit sur une jeune femme qui semblait avoir la vingtaine. Sa magnifique chevelure blonde-rousse était nouée en une queue relevée et laissait échapper deux mèches qui encadraient son visage, tout aussi harmonieux que son corps. Ses yeux vert délavé reflétaient une certaine fermeté et un esprit vif et perspicace.
Elle referma la porte derrière elle, dévisagea le garçon d'un air inquisiteur, avant de tourner la tête vers Aylin, puis vers Timothée.
- Monsieur ! s'insurgea-t-elle. Que fait cet enfant ici ? Aylin, je comprends, mais... Vous n'aviez pas d'entretien aujourd'hui ! Nous ne sommes pas là pour jouer les baby-sitters !
- Freya, dit calmement l'homme en posant ses bras sur les accoudoirs, cet "enfant" est le frère de Ciel et d'Aylin. Je ne connais pas ses motifs, mais il me semble normal que, après avoir fait l'effort de venir lui-même, alors qu'il est en plein deuil et que mon bureau est introuvable, il voudrait que l'on écoute sa requête. Je me trompe, jeune homme ?
Il baissa d'un demi millimètre ses lunettes pour diriger son regard vers Ethan, tandis que Freya, tout d'un coup lui portant une attention plus vive, déposait distraitement un paquet de feuille sur le bureau de Timothée.
Ethan, qui n'avait pas dit un mot depuis le début, bafouilla :
- Je... Je voudrais... Enfin... Ciel m'a fait promettre que...
Aylin lui décocha un regard noir, qu'il capta sans problème.
- ... Mon frère m'a fait promettre de le remplacer ici si jamais il lui arrivait malheur. Et de transmettre un message à l'une de vos employées.
- Ciel était un garçon exemplaire, nota la blonde avec un sourire triste. Sa disparition a été une grande perte pour les archivistes. A part Monsieur Morteterre, personne ne l'égalait ici... Si jeune, pourtant...
- Freya... soupira son supérieur en remettant ses lunettes en place sur son nez. Il est vrai que Ciel était un des meilleurs éléments de l'organisation, mais ce n'est pas une raison pour mettre la pression sur son petit frère. Donc tu es motivé pour entrer chez les archivistes et combler le vide qu'a laissé Ciel ?
Ethan hocha la tête, plus ferme qu'auparavant. L'homme remonta à nouveau ses lunettes, puis enchaîna, presque menaçant de classe :
- Tu jures d'obéir à chacun de nos ordres jusqu'au bout, quel qu'en soit le prix ? Tu jures de nous faire confiance sans te poser de questions ?
- Tu jures de nous jamais frayer avec l'ennemi ? compléta Freya et se plaçant derrière le siège de Timothée et en posant ses mains sur le haut de celui-ci. Tu jures de ne jamais te laisser happer par la facilité que propose le Mal ?
- Je le jure, répondit le garçon.
- Parfait... conclut Timothée, en esquissant son premier sourire, espiègle. Il y aura tout de même bien quelque chose que tu devras accomplir pour prouver que tu as la trempe d'un archiviste...
Il saisit une lame posée sur son bureau et commença à jouer avec. Freya tenta de protester :
- Mons...
D'un geste vif, l'homme s'entailla le bras d'une coupure horizontale avant que la jeune femme ait pu réagir, et montra la blessure au garçon.
- Regarde, gamin, lui indiqua-t-il.
Ethan s'approcha du bureau, timide. Un détail le marqua tout de suite : le sang coulait, et, contrairement à la teinte rouge habituelle, il était vert. Il se mordit la lèvre. Qu'était-ce ?
- Monsieur ! protesta à nouveau Freya. J'aurai pu le faire à votre place !
- Peu importe, ce n'est qu'un peu de sang, répliqua son supérieur. Vous me soignerez ça après, Freya.
*Génial,* songea Ethan. *Je suis tombé dans un repère de mafieux qui ont un sang anormalement verdâtre. Merci, grand-frère.*
- Bref, enchaîna Timothée, cela te semble étrange, n'est-ce pas ? Eh bien, voilà ta première mission : amasse le plus possible d'informations à ce sujet, et nous jugerons si tu as assez bien travaillé. Il est assez facile de trouver, en réalité. Aylin et Ciel ont passé cet examen sans problème, je ne vois pas pourquoi tu échouerais, si tu te prétends capable de remplacer ton frère...
*Su-per*, pensa à nouveau Ethan. *Merci vraiment beaucoup, Ciel...*

Il rouvrit les yeux, et, voyant une jeune fille courbée sur son ordinateur portable, il hurla derechef :

- AAAAAH ! UN MONSTRE NO-LIFE DES GRENIEEEERS !

.:: Ethan mit un moment à réagir. Il secoua la tête. Quel crétin il faisait ! Non seulement il se faisait remarquer, mais en plus il provoquait quelqu'un involontairement sans avoir analysé son caractère et ses limites mentales et physiques. Ah, ils auraient dû confier cette mission à Angelo ou à Wanda, vraiment ! Et lui qui pensait pouvoir, un jour, succéder à Timothée à la tête des archivistes... Il fallait qu'il fasse énormément de progrès...

- Euh, excuse... bafouilla-t-il à la jeune fille. Je t'ai confondue avec quelqu'un d'autre...

.:: Ethan, un peu gêné, puis répondit :

- Bah... Euh... Beuh... Moi c'est Ethan. S'lut.

Et voilà... Sans s'en rendre compte, il s'était mis en mode "J'm'en fous casse-toi", c'est-à-dire qu'il rentra ses mains dans ses poches, se courba légèrement, et prit son ton blasé. Il allait être désagréable, il le sentait. D'ailleurs, la pulsion venait déjà. Pas besoin de faire quoi que ce soit, son "autre-lui" s'en chargeait. Et allait faire des ravages.

- C'est bizarre Ume comme prénom, sérieux... bâilla-t-il. C'est quoi ? Japonais ? Ça veut dire quoi c'truc en fait ?

.:: Ethan haussa un sourcil, remit une mèche de cheveux derrière son oreille.

- Nan, c'est juste qu'il y a plus beaucoup de Japonais sur Terre depuis la colonisation spatiale, ça a été le pays qui a été abandonné le plus vite - de 86,75 % en à peine deux ans -, avec les États-Unis - 76 % -, l'Afrique du Sud - 66 % - et la Corée - 59,25 %. Mais bon, ça tout le monde le sait, on s'en fout.

"Élémentaire, mon cher Watson" aurait raillé Dan - qui, malgré qu'il fasse partie des archivistes, ne connaissait toujours pas bien ces chiffres... et s'en vantait - avant de se prendre un coup de crosse de revolver dans la tête par sa sœur. Ethan soupira en repensant à Astrid et Dan. Eux, ils étaient toujours ensemble, ils avaient eu de la chance... Lors de l'affaire HDP-I-C-AI, il n'aurait pas été étonnant que ce soient eux qui se soient faits attaquer. Mais le destin en avait décidé autrement. Et, ce jour-là, l'ennemi n'en avait plus vraiment après eux...

.:: Ethan haussa les épaules.

- Bah, tu sais, les gens comme la Reine d'Angleterre ou le président français ont rien d'autre à faire que de calculer le taux de repeuplement depuis cette putain de colonisation. Après tout, Mme la Reine n'a rien à faire depuis que ses trois rejetons - maudits soient-ils - sont partis faire la gue-guerre...

Il parlait, il parlait. Il s'en fichait s'il embêtait Ume, après tout, ce n'était pas bien important. Il fit un bref mouvement du bras droit pour regarder sa montre, exposant sans le vouloir sa brûlure noirâtre aux yeux de la jeune fille à origine indéterminée (eh oui, il portait sa montre au poignet droit...)